jeudi 18 juin 2009

Notes a l'encre Blac (6)

23 juin 2009 | par Emmanuel Burdeau

Les Rencontres du Moyen Métrage ont mis en ligne le texte du dialogue entre Serge Bozon et Vincent Dietschy tenu au cours de leur 6e édition. Brive s'en est fait une tradition : un jeune cinéaste propose à un aîné de venir parler en public avec lui. C'est l'"occasion d'une parole sans contrainte, où ils se dévoilent selon leurs envies à travers leurs méthodes, leurs questionnements, les doutes et les désirs qui jalonnent leurs parcours. "

Guiraudie invita Brisseau, Bonello Nolot, Mouret Christian Vincent. Cette année, Bozon a souhaité parler avec Dietschy : leur différence d'âge est mince, le premier naquit en 1972, le second en 1964. Ils ont chacun réalisé deux longs métrages. Respectivement : l'Amitié et La France (avec entre les deux un moyen métrage, Mods) ; Julie est amoureuse et, dix ans plus tard, Didine.

La retranscription est parfois approximative, mais l'échange jamais. Dietschy répond aux questions de Bozon, qui botte volontiers en touche devant les tentatives de celui-ci de le ramener du côté de ses propres films - jolies esquives.

Dietschy est l'aîné, mais aussi l'ingénu épaté par l'érudition de son cadet. Bozon est l'érudit, le cadet, mais aussi le fan. Il est le critique acéré tenant un discours parfois théorique (fine introduction sur les écoles Pialat et Lynch / Cronenberg dans le jeune cinéma français), et il est le cinéaste à la parole aussi intuitive que celle de son interlocuteur.

Des affinités se font jour en chemin : l'aventure de Sérénade rapprochée de celle de La Lettre du cinéma, les demi-teintes de l'humour, l'importance du récit, donc de l'écriture, dont Bozon (citant Jean-Claude Biette, qui serait son maître si Biette pouvait être cela), déplore que le goût manque au cinéma français.

C'est lorsqu'un spectateur les interroge sur le " vécu intime " de la carrière critique et publique de leurs films qu'il est spécialement recommandé d'être concentré. Dietschy, dont le film aura presque atteint 100 000 entrées, voulait supprimer ce prénom, Didine, jugé rédhibitoire, jusqu'à ce qu'il y voit un " emblème ", une manière de dire " merde un peu ". A la cantonade, ainsi qu'au producteur et au distributeur, laisse-t-il entendre. Volonté d'assumer que le film n'est pas sympathique. Et conviction qu'avec un titre aussi atypique il resterait : les gens ne l'oublieront pas.

Dietschy évoque encore l'attitude adoptée à l'égard du réseau UGC, des trucs découverts avec Didine auxquels il se promet de faire désormais attention : le temps de diffusion de la bande-annonce, la mention payante dans le programme officiel, plus largement la tactique susceptible d'attirer un public désormais muni d'une " zapette ". " Ils regardent : qu'est-ce qu'on va voir ? Ils ont rendez-vous au cinéma à 20h et ils décident sur le moment. "

Aucun mépris à l'égard d'un public qui irait au cinéma pour voir un film : l'intuition, au contraire, que sa curiosité est intacte. Démagogie ? On a connu pire. Et n'y-a-t-il pas d'ailleurs un plaisir particulier à se rendre dans ces UGC, où la foule des films, rencontrant celle des spectateurs, retrouve une combinaison précieuse de liberté et d'anonymat ?

Bozon avoue d'un trait laconique l'échec de La France - " Je le regrette, ça a fait un bide. " Il ajoute qu'il a fait " le maximum pour soutenir le film, plus de 60 présentations en province ". Et confesse que, pour ce film comme pour le précédent - et le prochain, un polar -, il était persuadé de tenir un sujet grand public. " Je ne cherche pas à être dans une niche ni à plaire à un public d'happy few toujours plus intensément solitaires... ". Ces derniers mots pourraient avoir un accent biettien. Ils rappellent en tout cas la fin de la critique du Théâtre des Matières par Serge Daney, sur un public qui se compterait désormais au un par un...

60 présentations, le chiffre n'est plus fait pour étonner. De beaux films qui font un bide, c'est également monnaie courante. Une telle variété d'adresses et de registres, semblable insouciance quant à la nécessité d'occuper une place, et de n'en pas bouger, ce n'est en revanche pas fréquent. Du tout.

Bozon ose affirmer, ce qui est fort, qu'il " adore la critique de cinéma ". Il parle aussi en mod, en guerrier, en amoureux de Grémillon. Dietschy parle en intuitif, en type qui dit merde un peu, en pro des nouvelles stratégies de promotion... Miracle : parlant ainsi, ils ne cessent de se parler.
Est-ce qu'une Action Culturelle ne devrait pas ressembler à ça ? Je ne parle pas " budget " ou " économie ". Si : j'en parle. Je parole économie discursive.

On conçoit souvent l'Action Culturelle selon un modèle vertical, une reformulation - en plus souple - du rapport entre un professeur et ses élèves. On attend qu'un critique tienne un certain rôle, un cinéaste un autre, un technicien encore un autre - tout en restant chacun « spectateur ».

C'est l'horizontalité qui est belle, dans le duo Bozon / Dietschy. Les deux hommes transmettent d'autant mieux que ni l'un ni l'autre ne pose au « passeur » (le mot est usé jusqu'à la corde, il serait bon de le retirer un temps de notre vocabulaire). Ils n'ont pas une « parole de cinéma » (autre expression à bout de souffle). Ils ont plusieurs voix, ils occupent plusieurs lieux.

L'Action Culturelle exemplaire pourrait être cela : un enseignement qui fait aussi bouger les lignes. On voit la lourdeur de la tâche. Il est nécessaire (cf. Notes 5) de faire l'histoire raisonnée des discours sur le cinéma. Mais il faut aussi, ici et maintenant, secouer la poussière des habitudes et des places. Recomposer l'ordre. Et semer le désordre. A suivre.







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