23 mai 2009 | par Emmanuel Burdeau
Le Palais se vide, les smokings jonchent le pavé, le kiosque à deux pas des marches a épuisé son stock de magnets et «le reliquat – beau mot funèbre – des casiers de presse sera distribué aux cinéphiles – beau mot funèbre ? – le 24 mai à partir de 14 heures». Il est temps de résumer les rumeurs, inquiétudes et prévisions qui auront parcouru la soixante-deuxième édition du festival de Cannes.
Il y a bien sûr les pronostics du Palmarès. Trois cinéastes importants n'ont jamais eu la Palme, et pourraient l'avoir ce coup-ci : Pedro Almodovar (à l'usure, sourit-on), Marco Bellocchio, Michael Haneke. Vêtu en rouge et noir, Alain Resnais devrait ne pas repartir les mains vides. Espérons juste qu'on n'inventera pas pour lui un de ces prix de consolation qui fâchent.
Aucun favori ne polarise les débats. Peu de chocs : Antichrist de Lars Von Trier (à la sortie duquel une spectatrice hurlait «He's sick!») et Un prophète de Jacques Audiard (pas vu, vrai regret, malgré le peu d'admiration pour ses précédents films). Même l'hallucination de Gaspar Noë, Soudain, le vide, est venue trop tard – vendredi après-midi – pour durablement captiver. Un festival mou ? N'exagérons rien.
Et la crise ? Elle fut peu sensible dans les films, sereins pour la plupart, sinon souverains : Ang Lee, Michael Haneke, Quentin Tarantino... Même la violence fut digne. C'est que la crise est dehors, et pour nous c'est d'abord celle qui accable la presse.
La baisse du nombre de journalistes accrédités cette année a été estimée à 10%. Le Monde a laissé ses pigistes à la maison (ils sont venus par leurs propres moyens), et réduit à trois pages, parfois deux, sa couverture quotidienne. Pour la première fois en trente ans, certains titres nord-américains n'ont envoyé personne. Même les petits messieurs sexagénaires, les vieux caïds bedonnant de la presse internationale, parlaient de ça, attendant que la prochaine projection commence, le coude adossé à la scène pour offrir à la salle le spectacle de leurs mines repues. Qu'y pouvons-nous : le ridicule aussi a ses rituels.
Si ce n'est pas à nous d'évoquer la situation de transition aux Cahiers du cinéma depuis le rachat du titre par Phaidon, il faut en revanche dire quelques mots de ce qui arrive à Film Comment. La nomination d'une nouvelle directrice à la tête du Lincoln Center, dont dépend la revue new-yorkaise, semble funeste : Kent Jones est parti, d'autres rongent leur frein, le remaniement s'annonce brutal. Beaucoup ne cachent pas un pessimisme radical.
Et pourtant. Que vous entriez dans un cybercafé, ou que vous preniez place dans la salle de presse du palais de Festival, le constat est le même. Il y a là, pianotant, autant de blogueurs, jeunes pour la plupart, que de journalistes à l'ancienne. Jetez un œil par-dessus leur épaule : le temps des posts improvisés n'est plus, ce sont de vrais articles qui sont mis en ligne chaque jour sur des milliers d'adresses.
C'est très simple : la critique traditionnelle s'essouffle, les anciens s'accrochent, le changement de génération tarde – euphémisme –, et pourtant il n'y a peut-être jamais eu autant de gens, jeunes pour la plupart, qui savent penser et écrire sur le cinéma. Pas toujours en ligne, mais souvent. Cannes ne l'ignore plus tout à fait : son site a été amélioré, et le nombre d'accréditations accordées aux journaux en ligne a augmenté.
Quel rapport avec le Blac ? Depuis trois jours, ces notes répètent l'évidence : tout est lié. Pour aborder les problèmes de l'action culturelle, la critique doit juste faire l'effort d'un décentrement. Si elle demeure à sa place, elle sera tentée de faire tomber sa parole de haut, confirmant ainsi l'autarcie – mais aussi la nullité – de son magistère. La plaie française par excellence. Qu'elle cesse donc de vouloir délivrer on ne sait quelle bonne parole pour penser enfin ses moyens. Et ceux des autres par la même occasion. Car tout est lié.
On trouverait ainsi, dans les salles, un «problème générationnel» comparable à celui qui existe dans les rédactions. On raconte même que rares sont les exploitants qui ont pris soin d'engager et de former leur successeur. Or aujourd'hui la difficulté est surtout historique. Pour s'en rendre compte, il suffit de noter l'étrange usage, tantôt négatif tantôt positif, que les Actes font de deux mots eux-mêmes passablement usés : moderne, modernité.
L'an passé, le cinéaste Benoît Jacquot parlait du mouvement du Club des 13 initié par Pascale Ferran comme d'une révolte des classes moyennes : défense bec et ongles d'un confort, rien de plus... La comparaison était sévère mais globalement juste. Il faudrait en retenir la note sociale pour encourager le développement d'une véritable sociologie du champ cinématographique. Sauf ignorance de ma part, celle-ci manque cruellement.
Un jeune chercheur comme Olivier Alexandre a commencé d'y travailler : il a écrit une étude consacrée aux cinémas Utopia, sous-titrée A la recherche d'un cinéma alternatif, hélas pour lui parue à L'Harmattan. Il publie des articles ici et là (Mouvements, Le Monde diplomatique...), mais il doit se sentir un peu seul. Il avance pourtant de fortes choses. N'a-t-il pas raison de décrire la judiciarisation du cinéma et la substitution de la commission à la salle comme espace de délibération cinéphile ?
Revenons en arrière. Les «pratiques alternatives» sont aujourd'hui partout. Les blogs (il faudrait un autre mot) continuent d'essaimer, n'importe quel internaute peut devenir spécialiste de wu xia pian ou de Pierre Perrault en deux heures de promenade en ligne. Les regards se spécialisent à l'infini. C'est une des raisons, peut-être, des difficultés que connaissent des magazines généralistes comme Studio (devenu récemment Studio Cine Live) ou Première : le bon vieux glamour universel a vécu, en tout cas associé avec un semblant de travail critique.
Pendant ce temps-là, l'alternatif estampillé se vide de sa substance. Le label Art et Essai est en effet accordé avec une largesse coupable, il concernerait aujourd'hui près de deux tiers des films ! Encore une chose qui se sait mal. Les mêmes exemples reviennent toujours, Woody Allen et Pedro Almodovar, mais ils ne convainquent plus personne. Pire : l'attribution du même label à une salle – donc des crédits qu'il déclenche – est fonction des films montrés, et non du travail accompli autour d'eux par les salles.
Cette aberration fut un des points soulevés avec force par les Etats généraux. Hélas, l'AFCAE (Association française des cinémas d'art et essai) s'oppose à une nouvelle réforme du statut. Pas étonnant alors qu'elle n'ait pas souhaité rejoindre le Blac, ni qu'elle n'ait eu à fournir pour cela que le plus piètre des alibis : nous ne sommes pas avec vous, mais cela ne veut pas dire que nous sommes contre vous. Excellente blague, nous voilà avancés. A suivre.
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